Sorti de sa retraite à 74 ans, l’ex-PDG qui avait conduit Volvo jusqu’à son IPO (introduction en bourse) de 2021 revient en pompier de luxe. Sa mission : remettre en musique la promesse faite aux investisseurs – rendre Volvo plus grosse, plus rentable et plus électrique – après une période chahutée par des ventes décevantes, des bugs logiciels, des retards produit et même la menace d’un bannissement commercial aux États-Unis.

Le mandat est court (deux ans) et assumé : restaurer la trajectoire, préparer la relève en interne, et laisser à son successeur une organisation ragaillardie et un plan crédible.
Où en est Volvo ? Diagnostic sans fard
La marque encaisse le coût d’un lancement raté : l’EX90 (et son cousin Polestar 3), reporté et sujet à de nombreux problèmes, a entraîné des dépréciations et deux ans et demi de revenus perdus qui ne reviendront pas, les clients s’étant tournés vers d’autres modèles. Le contexte n’aide pas : course mondiale à l’électrique de plus en plus rude, Europe à la peine, tarifs douaniers et volatilité réglementaire.

S’ajoute l’effet EX30 : après un démarrage massif depuis la Chine, l’instauration de 28 % de droits de douane en Europe a forcé un arrêt net des importations, d’où une contre-performance ponctuelle des ventes électriques. Réponse opérationnelle : la relocalisation de l’EX30 à Gand, une montée en cadence progressive, des optimisations de produit et de coûts, et un pilotage commercial plus offensif.
Les priorités immédiates sont claires : réduire les coûts pour racheter du temps, réénergiser les ventes (marketing, exécution, culture de performance), puis, seulement ensuite, réactiver les projets “phare” capables de redonner un avantage technologique.
La stratégie : vitesse électrique, pont hybride et architecture mondiale
Malgré les écueils sus-mentionnés, le cap stratégique est confirmé : l’avenir de Volvo est électrique. Mais le calendrier devient pragmatique : la marque accélère là où la demande et l’infrastructure suivent, tout en réintroduisant des hybrides rechargeables - dont le prochain Volvo XC70 - comme pont de transition, le temps que l’infrastructure de recharge publique se densifie.
L’ambition industrielle tient en une idée : concevoir une architecture globale capable d’accueillir des véhicules 100 % électriques et des électriques à prolongateur thermique, avec une meilleure position de coûts et des variantes régionales lorsque nécessaire. C’est le chantier central des cinq prochaines années : standardiser ce qui peut l’être (électronique, software, packs batterie, modules de propulsion), différencier le strict nécessaire (carrosseries, réglages, industrialisation locale) pour gagner en vitesse et en marge.

Parallèlement, Volvo veut retrouver un leadership technique visible sur quelques dossiers clés (sécurité active, conduite assistée, expérience logicielle), domaine où la marque estime avoir perdu de l’avance.
Chine : contrainte, levier… et ligne de crête
La poussée des constructeurs chinois (BYD, Xiaomi, Zeekr…) change la carte : plus de la moitié du marché chinois leur appartient déjà, et l’Europe est la cible suivante. Résultat : les marques européennes et américaines se disputent une part de marché qui rétrécit sur leur territoire commercial historique. Dans ce contexte, l’adossement à Geely est vu comme un atout stratégique : accès industriel, effets d’échelle, mutualisation technologique. Mais l’époque est à la régionalisation : Volvo privilégie des chaînes de valeur locales (production, chaîne d’approvisionnement, cloud) plutôt que des montages capitalistiques profonds (pas de nouveau joint-venture en vue).

Côté États-Unis, le risque politique lié à l’actionnariat chinois est pris au sérieux. La ligne défensive est structurée : gouvernance d’entreprise autonome, données clients cloisonnées et composants chinois exclus des véhicules destinés à ce marché. L’objectif est de documenter ces garanties auprès des autorités et d’éviter que l’incertitude réglementaire ne paralyse l’exécution. En filigrane, une conviction : l’industrie sera majoritairement électrique en une décennie, à coûts plus bas, avec deux ou trois champions chinois au firmament. La conséquence en Europe sera une restructuration : les marques capables de s’adapter survivront, les autres fusionneront… ou disparaîtront.
Que faut-il en penser ?
Au final, le “plan Samuelsson” tient en trois actes : mettre la maison en sûreté (coûts, cash, discipline), réamorcer la pompe commerciale (ramp-up de la production du EX30 à Gand, leadership d’exécution) et recréer de la désirabilité technologique (produits-phares, software, sécurité). L’électrification reste le cap, mais au rythme des clients et des réseaux.
À court terme, l’enjeu est d’absorber le choc chinois sans renier l’ADN Volvo ; à moyen terme, d’industrialiser une architecture mondiale réellement compétitive. Le style est scandinave, la méthode militaire : pas de promesses lyriques, une feuille de route lisible et la volonté de remettre Volvo en position d’attaque avant de passer le témoin.
Surtout Kakan Samuelsson a raison sur un point important : l’industrie automobile européenne (et américaine) sortira remodelée de cette période de transition forcée et instable. Et Volvo fait clairement partie des constructeurs en danger !
Source : interview réalisée par Bloomberg