Edito / La Grande Illusion

Dans le film La Grande Illusion (de Jean Renoir – 1937), des soldats français de la Première Guerre mondiale sont prisonniers des Allemands dans un camp. Ils creusent un tunnel, et la veille de leur évasion… ils sont transférés dans une forteresse imprenable. C’est ballot. Dans La Grande Illusion version XXI^e siècle, on fonce contraints et forcés vers l’hybride rechargeable, dans l’espoir de s’évader de… la pression fiscale. À peine touche-t-on au Graal que, boum, on fait semblant de découvrir qu’il s’agit en fait d’une voie sans issue.

Pourtant, d’un point de vue marketing, la machine a des allures de grosse Bertha. Sur le dernier Dakar, Audi a ainsi lâché ses RS Q e-tron à l’assaut des dunes d’Arabie Saoudite. RS parce que ça fait sport. Q parce que ça fait SUV. Et e-tron, parce que ça fait électrique. Électrique oui, mais dont la fonction de prolongateur d’autonomie, sans lequel des étapes de 800 km seraient impossibles sur le seul mode électrique, est assurée en fait par des moteurs à essence issus du DTM qui, d’après les observateurs sur place, faisaient un boucan d’enfer tous les matins, lorsqu’ils tournaient à plein régime pendant une demi-heure pour charger les batteries. Et qui, en cours d’étape, tournaient constamment entre 4.500 et 6.000 tr/min (grâce à un réservoir de 300 l) pour assurer une production suffisante d’électricité. Mais cette hypocrisie n’est pas un cas unique, bien entendu. Sébastien Ogier (Toyota) ne disait pas autre chose a propos des nouvelles hybrides du Championnat du Monde des Rallyes. Pour garantir une autonomie électrique suffisante dans les zones obligatoires, le moteur 1.6 turbo tourne comme un générateur, consommant allègrement (un carburant de synthèse, il est vrai). Et vous avez déjà essayé de trouver des informations sur la manière dont les Formula E électriques sont rechargées? Personne n’en parle. Parce que c’est via de gros générateurs thermiques.

Enfin, lors de la récente présentation de la Bentley Flying Spur Hybrid en Californie, les organisateurs nous avaient dit de bien prendre notre temps lors de la pause de midi, genre 2 heures, pour «profiter de l’endroit», magnifique il est vrai. Sauf qu’en coulisses, derrière un paravent, les voitures étaient branchées pendant ce temps sur un gros générateur Diesel pour être rechargées en électricité. Dans ce contexte, on comprend que la Suisse envisage sérieusement d’interdire les hybrides rechargeables, partant du constat qu’elles consomment en réalité infiniment plus qu’annoncé. Et si on laissait au thermique dernier cri le soin d’assurer la transition vers l’électrique (si tant est qu’il faille le faire), en attendant que celle-ci lève les obstacles qui se présentent encore à elle? Et que cesse cette grande illusion hybride...

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