Mesdames les marques chinoises, j’ai deux mots à vous écrire que vous lirez peut-être si vous avez le temps. Oui, je veux bien reconnaître votre supériorité technologique sur les matières électriques. Oui, c’est vrai, vous dictez le tempo du monde sur le sujet et surtout votre mainmise fut très rapide, personne n’a vu la rapidité de votre charge et les moyens mis en œuvre pour tout submerger très vite. Les constructeurs occidentaux se sont laissés prendre à revers par cette poussée de fièvre électrique qu’ils ont d’abord niée, puis minimisée avant de se la prendre en pleine face. Oui, en vérité, je vous le dis, tout cela est vrai, c’est factuel et donc indéniable. Mais il y a un levier que vous ne maîtrisez pas (encore): la passion, l’envie d’acheter vos voitures.
Et c’est heureux pour l’Europe car si c’était le cas, votre victoire serait totale. Mais qu’on le veuille ou non, l’achat d’une voiture neuve reste un acte en partie émotionnel, dicté soit par l’attrait pour la marque elle-même, soit par la ligne, soit par des qualités routières, soit par encore un grand nombre de facteurs subjectifs, dont la réputation ou l’image de marque. Et là, désolé de vous le dire, mais vous n’êtes nulle part. Non pas que vos voitures soient moches. Elles ne sont juste pas très jolies ni attrayantes, mais le plus gros problème est ailleurs: elles se ressemblent toutes ! Profil de SUV (« coupé», quelle hérésie), surfaces lisses, jonc lumineux barrant une calandre fermée, trait de lumière joignant les feux arrière… On dirait une recette stylistique issue d’un «prompt» donné à une IA.
À prestations globales similaires, vous vous laisserez séduire par un modèle "qui vous parle" ou par un "produit blanc" ?
Et le constat se poursuit à l’intérieur: ambiance dépouillée à l’excès, énorme écran central tactile (et parfois rotatif, waw!), et même si la qualité des matériaux ou leur assemblage ne prête pas le flanc à la critique, où est la créativité? Il paraît que vous engagez à prix forts des designers stars venus d’Europe ou de la «vieille» industrie automobile, mais pourquoi faire? Ils semblent avoir tous reçu la même consigne. Franchement, je suis peut-être nul, c’est possible après tout, mais je n’arrive pas à distinguer à l’aveugle un modèle BYD d’un modèle Xpeng, d’un Zeekr, d’un Nio et que sais-je encore? Sans même parler de marques inconnues au bataillon qui annoncent pourtant des objectifs dévastateurs pour les marques en place… avant même d’avoir un seul point de vente en Belgique! C’est la réflexion que je me faisais depuis un moment et que Frédéric a confirmée lors de sa visite au Shanghai Auto Show, dont vous lirez le reportage dans ce numéro.
Dès lors, l’Europe, et surtout ses constructeurs locaux, ont peut-être là une carte à jouer: quand le retard sur l’électrique aura été rattrapé, si c’est chose possible, pourquoi ne pas miser sur l’émotion et le savoir-faire patiemment acquis au fil des décennies? Cela peut paraître futile, mais c’est pourtant stratégique: à prestations globales similaires (performances, autonomie, équipement, prix, confort…), vous vous laisserez séduire par un modèle «qui vous parle» ou par un produit «blanc», lisse comme un galet oublié sur une plage déserte? Or, en l’état, la production automobile chinoise, aussi aboutie soit-elle d’un point de vue technologique, a (à mes yeux en tout cas) autant de pertinence et de charisme qu’un huissier de justice en pleine fashion week. Mesdames les marques occidentales, vous vous êtes laissées déborder sur votre flanc par l’armée technologique? Contre-attaquez sur l’autre flanc avec une arme de séduction massive: l’émotion. On en a plus que jamais besoin!