Commercialisée à partir du 22 octobre 1954 à 3.191,96 $ dans sa version de base, soit exactement 283 $ de plus qu'une Corvette V8 (à titre de comparaison, une VW Coccinelle s'affichait alors au prix de 1.395 $), la Thunderbird fit tout de suite sensation. Mesurant 35 cm de moins que la plus basse des berlines Ford, très compacte avec ses dimensions européennes, elle devint le jour même de son apparition une starlette dont les acheteurs s'arrachèrent les bons de commande, surtout du côté d'Hollywood. Parmi eux, Frank Sinatra, Marlon Brando, David Janssen et Marilyn Monroe la commandèrent dans le coloris Raven Black identique à celui de la voiture des photos, alors que Clark Gable et Audrey Hepburn préférèrent la choisir en Snowshoe White.
Autre anecdote pour le moins cocasse: Jane Mayfield, dite Jane Wyman, actrice à la mode à l'époque, réalisatrice et accessoirement première épouse du futur président Ronald Reagan, organisa chez elle une réception mémorable pour arroser l'acquisition de sa T-Bird.

Pour l'occasion, elle avait exigé que Ford qu'il lui livre à son domicile le premier exemplaire tombé des chaînes, afin de pouvoir pénétrer à son volant dans son salon au milieu d'un gratin de célébrités! Une demande folle, mais qui fut réitérée au constructeur par quelque 2.500 autres clients. L'histoire ne dit pas si la requête de Miss Wyman fut exaucée; en revanche, on sait qu'elle reçut la sienne une heure avant les 35 autres voitures livrées le même jour...
Mais bien avant que la T-Bird n'accède au titre de coqueluche des people, elle avait été celle de l'état-major de Ford, et aussi le bébé chéri par tous les ingénieurs chargés de son développement, excités à l'idée d'enfin pouvoir concevoir une sportive américaine susceptible de supporter la comparaison avec les meilleures européennes, mais aussi avec la Corvette, qui allait bientôt entamer sa mue, passant de roadster endormi à engin décoiffant.
La réponse américaine aux voitures de sport européennes
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le marché du roadster sportif était en pleine effervescence sur le sol US, boosté par le retour des soldats américains du Vieux Continent, où ils avaient pris goût à ce type d'engin grâce aux nombreuses productions anglaises. Non seulement le lancement, en 1948, de la Jaguar XK 120 offrit ses lettres de noblesse à ce genre automobile, mais il lui donna de surcroît un sérieux coup de boost.
Si les Big Three (General Motors, Ford et Chrysler) mirent un peu de temps à réagir, les indépendants furent plus prompts à la détente. Ainsi assista-t-on à la naissance, en 1949, de la Kurtis, qui connaîtra rapidement une seconde vie sous la forme de la Muntz Jet, créée par le flamboyant Earl Muntz, sorte d'Elon Musk avant l'heure, puis de la Nash-Healey en 1951, ou encore de la Kaiser-Darrin en 1952. Si toutes laissèrent de marbre les bonzes de Dearborn, fief de Ford, l'arrivée de la Corvette en 1953 changea la donne.

Pas question pour le management de Ford de laisser une once de terrain commercial à la GM, hors de propos d'octroyer à Chevrolet le moindre avantage. Tous les feux passèrent donc au vert pour sortir une rivale dans les délais les plus courts.
Cela se traduira par 21.000 heures de travail acharné, dont 4.500 furent consacrées au seul dessin, cela sous les injonctions et la pression de Franklin Quick (!) Hershey, Frank Hershey au quotidien, auteur du design. À cela, une raison simple: grand amoureux de sportives et accessoirement propriétaire d'une Jaguar XK 120, il rêvait d'offrir à son constructeur une concurrente conforme à sa perception du roadster, un engin pas forcément dédié à la performance mais plutôt dégageant une forte personnalité.
Sobriété et élégance
Un des points sur lesquels Hershey se concentra en priorité fut de concevoir une silhouette certes 100% conforme aux canons esthétiques américains, mais très pure, avec une ligne de caisse basse et des formes qui se suffisaient à elles-mêmes et n'avaient recours à aucun artifice. Une silhouette remarquable, qui n'est pas sans rappeler la sobre élégance des carrosseries italiennes contemporaines, et qui, aujourd'hui encore, force l'admiration.
L'idée qu'Hershey se faisait de «son» roadster ne se limitait pas au seul habillage, aussi séduisant soit-il. Il l'imaginait aussi confortable, avec un moteur puissant, un châssis rigide et des trains roulants évolués, un chauffage efficace, des vitres latérales coulissantes (et non démontables ou encore absentes, comme sur les roadsters anglais), ainsi qu'équipée d'une banquette pouvant accueillir 3 personnes. En faisant fi du principe des deux sièges indépendants propres à toute vraie sportive, il affirmait ainsi le caractère original et différent de cette voiture.

Les performances n'avaient donc pas été oubliées dans le cahier des charges, le V8 étant stipulé d'emblée comme un incontournable dans les exigences de Hershey. Si tout cela était annonciateur d'un programme alléchant, notre homme allait tout de même se heurter au mur de la raison financière, concrétisé par Robert McNamara, l'incorruptible gardien veillant au grain en matière de gros sous au sein de la maison à l'ovale bleu. Ce dernier, s'il ne rejetait pas en bloc toutes les propositions de Hershey, allait toutefois lui imposer une contrainte importante, à savoir que le feu vert pour la mise en application de ce programme était conditionné à l'exigence de reprendre un maximum de pièces employées sur les gammes Ford millésimées 1955.
Chance pour Hershey, les modèles conçus pour cette année étaient heureusement très loin des extravagances à venir chez tous les constructeurs US à la fin de la décennie. Par conséquent, cette exigence a priori pénalisante ne ruina en rien ses projets, au contraire. Parmi les autres atouts sur lesquels notre homme pouvait compter, il y avait Bill Burnett, l'ingénieur chargé de la motorisation. Celui-ci était non seulement animé par la même passion que lui pour les sportives, mais il s'enthousiasmait également pour la réalisation de cet OVNI dans la gamme et partageait une même philosophie pour le produit à venir. D'une manière très judicieuse, son choix se porta sur le 292 ci Mercury, un V8 d'environ 200 ch, ce qui était l'option parfaite pour Hershey, validée au passage par McNamara.
Histoire indienne
Hershey avait pensé à beaucoup de choses, mais pas à tout. Car il restait à trouver un nom évocateur pour ce beau roadster. Pour ce faire, et devant le manque consternant d'inspiration des 5.000 noms avancés par le service concerné, Ford décida d'organiser un concours en interne doté d'un superbe prix pour le gagnant: rien moins qu'un beau costume d'une valeur de 250 $, somme considérable à l'époque!
Celui qui fut rhabillé aux frais de son employeur s'appelle Alden «Gib» Giberson, un des stylistes qui participaient au projet. Ayant vécu dans le sud-ouest des États-Unis, celui-ci connaissait la légende indienne du «Thunderbird», cet oiseau du tonnerre, symbole sacré du tonnerre et des éclairs, porteur de la pluie et, par conséquent, de la prospérité.

On notera au passage que cette jolie appellation sera reprise sur toutes les générations suivantes, la dernière en date (la onzième!) présentée en 2001 ayant adopté un style néo-rétro en vogue à l'époque, qui n'était pas sans rappeler celui du modèle initial, dont la ligne est considérée comme la plus pure. Les modèles qui suivirent en 1956 et 1957 ayant été abâtardis tantôt par la faute de modifications (pare-chocs plus massifs), tantôt par la venue d'éléments non désirables, comme la greffe du disgracieux Continental Kit, par exemple, cette roue de secours implantée verticalement à l'arrière.
L'année suivante, en 1958, la deuxième génération de la Thunderbird est devenue ce que l'on appellera plus tard la "Personal Car" : cette année-là, le roadster élancé à deux places s'est transformé en un grand et luxueux coupé à quatre places et en un cabriolet. Cette décision a également permis à Ford de donner le feu vert à la Corvette pour qu'elle devienne l'alternative américaine en matière de voitures de sport.
Festival de chrome
En y regardant à deux fois, on constate que la silhouette de la T-Bird 1955 est parfaitement équilibrée dans ses proportions, avec juste ce qu'il faut de chrome pour la distinguer des Ford plus populaires. Elle aurait même été encore plus raffinée, débarrassée des fausses ouïes chromées sur le dessus des ailes avant, dont on aurait pu se passer.
Si, pour certains, les deux protubérances de pare-chocs avant symbolisent des obus d'artillerie, d'autres y voient un troublant hommage aux formes avantageuses de l'actrice Virginia Ruth «Jennie» Lewis, mieux connue sous le nom de Dagmar.

Celles de l'arrière ont, quant à elles, une utilité bien réelle puisqu'elles accueillent en leur centre les sorties d'échappement, à la manière de tuyères. Quant au bossage de capot intégrant une prise d'air, il ne s'agit nullement d'une coquetterie de designer, mais d'une obligation technique imposée par la faible hauteur de la ligne de caisse, permettant de loger le filtre à air.
La capote... optionnelle moyennant 75 $ (seul le hard-top était livré en série), est habilement planquée derrière le dossier de la banquette, ce qui a permis de dégager un arrière très fuyant, et surtout débarrassé de tout «sac à dos».
Pare-brise panoramique
L'immense pare-brise panoramique déborde largement au-dessus des échancrures des portes, un avantage pour la fluidité de la silhouette vue de profil... mais un sérieux obstacle pour se glisser à bord! Une fois installé, on se régale. Pas vraiment avec la position de conduite, très droite, avec un volant dont la coiffe centrale vient pratiquement vous caresser le torse, mais plutôt avec un ensemble de détails qui feront pousser des «Oh» et des «Ah» admiratifs aux plus blasés.
Passons sur le bandeau de finition en alu bouchonné se prolongeant sur les contre-portes pour nous émerveiller devant le bloc d’instruments libellé en km/heure (la voiture fut livrée neuve en Belgique), dont la visière transparente donne un étrange éclairage au compteur. Le compteur est gradué jusqu'à 240 km/h: un brin optimiste, dans la mesure où le moteur permet d'atteindre à peine 180 km/h.

Ou encore devant le volant lui-même, véritable chef-d'œuvre stylistique très Art déco, mais aussi… arme fatale en cas d'accident. Ou enfin les deux instruments cerclant le bloc central: à gauche, le compte-tours gradué jusqu'à 5000 tr/min, et à droite, la montre. Pour l'anecdote, ce type d'implantation sera repris sur les Mustang entre 1964 et 1966 sous la forme d'un ensemble optionnel installé autour de la colonne de direction à la manière de deux oreilles, connu sous le nom de Rally-Pac (sans «K»), disponible moyennant 69,30 $, un supplément important rapporté au prix de la voiture, vendue alors à partir de 2.368 $, et qui en fait aujourd'hui un objet très convoité.
On pourrait continuer encore longtemps cette liste; on préférera juste décerner une mention spéciale à la forme particulière des différents boutons, interrupteurs et rhéostats, celle d’un obus cerclé d'une sorte d'aileron stabilisateur. Un souci bluffant du détail, qui a dû faire des ravages sur la clientèle à l'époque...
Pas une sportive
La mise en marche est, sinon laborieuse, vaguement inquiétante, avec un moteur qui semble sortir d'un sommeil profond. La faute en incombe à un équipement électrique en 6V seulement. Plutôt que de s'élancer, la Thunderbird semble glisser sur l'asphalte. Baptisée Ford-O-Matic, la boîte automatique à trois rapports équipant l'exemplaire essayé (une option facturée 178,20 $) s'applique à prolonger la douceur, elle qui a été programmée pour démarrer sur le second rapport.
Si la puissance du V8 n'est pas mirobolante (201 ch SAE), elle suffit largement pour évoluer au rythme qui sied à ce roadster plus luxueux que sportif, même si, équipé de la boîte manuelle livrée en série, il a brillé dans les compétitions. Le bruit du V8 n'a rien d'agressif, évoquant plutôt celui d'un gros Chris-Craft Capri.

En forçant la cadence, le moteur ne change pas vraiment de personnalité car il reste d'une souplesse débonnaire, incitant plus au cruising qu'à l'attaque, couteau entre les dents. L'oiseau de tonnerre s'apparente davantage à un gros matou rampant qu'à un aigle fondant sur sa proie. Vouloir le brusquer ne sert à rien, sinon à mettre en exergue tous les défauts de la voiture poussée dans ses derniers retranchements.
Une direction assistée optionnelle (91,40 $, soit un prix équivalent à celui de la radio!) déjà peu précise à basse vitesse, mais qui s'allège inutilement ensuite; une tenue de cap perfectible, avec des roues avant qui cherchent volontiers leur voie; des suspensions qui ne travaillent pas en symbiose avec un train avant trop souple et un train arrière tressautant sur les irrégularités; ainsi qu’un freinage que l’on peut qualifier davantage de «ralentisseur», et qui, sollicité dans un cas d'urgence, impose de nombreuses corrections au volant.
Manuel de l'utilisateur
Voilà pour le mauvais côté des choses, celui qu'on découvre quand on ne respecte pas le mode d'emploi. Dès lors, pourquoi ne pas adopter d'emblée la conduite préconisée par le constructeur? Ainsi, par exemple, il suffit de ralentir bien en ligne suffisamment tôt et de réaccélérer progressivement — en fait, plus de caresser les pédales que d'en jouer comme le font les pilotes de rallye — et de manier le volant avec douceur.
Bref, de manier ce roadster avec délicatesse et souplesse, dans un style coulé. De cette façon, on profite pleinement de sa conduite et la Thunderbird offrira tout son agrément. S’il vous prenait toutefois l'idée d’enfoncer sauvagement la pédale de droite, vous découvririez qu'en dépit de son âge vénérable (70 ans!) et de sa puissance raisonnable, cette dernière n’a rien du pétard mouillé, et que, sous le capot, les chevaux présents sont bien vivants et prêts à galoper comme des... mustangs.

Ondanks zijn gevorderde leeftijd – de T-Bird is zeventig geworden dit jaar – en zijn op papier redelijke vermogen gaat het stevig vooruit. De paardjes van deze V8 zijn zeker nog geen oude knollen, maar eerder galopperende mustangs.
Bon point additionnel: la caisse, bien rigide, ne se tord pas au moindre obstacle. Telle qu’elle se présente, et c’est ce qui explique son succès à l’époque, la Thunderbird réalise pleinement les objectifs qui lui avaient été assignés: être belle et performante comme pouvait l’être à sa façon une Jaguar XK 120 ou 140, tout en ne s’interdisant pas une touche de fantaisie et surtout en offrant un équipement et un confort dignes d’une américaine. Du haut de son petit nuage qu’il a rejoint en 1997, Frank Hershey peut être fier: sa Thunderbird 1955 est bien la voiture dont il a rêvé et… qu’il a créée !
Ce retrotest de Stany Meurer, avec des photos de Benji, est paru dans le Moniteur Automobile 1829 (septembre 2025).