Coin de la rédaction / Rédacteurs sans filtre - Jaguar peut-elle réussir sa transformation électrique ?

Au-delà de leur rigueur journalistique et de leur point de vue de professionnels de l’automobile, les membres de la rédaction sont avant tout des automobilistes et des citoyens lambda. Dans « Rédacteurs sans filtre », c’est le cœur qui s’exprime avant tout ! Cette semaine, nous leur avons demandé s'ils pensaient que Jaguar peut réussir sa transformation électrique.

Je ne pense pas que Jaguar ait vraiment le choix. La marque britannique (aux mains des Indiens de Tata) tente depuis des décennies d'obtenir une plus grande part du gâteau haut de gamme dans son assiette, mais à chaque lancement d'un nouveau modèle, elle doit constater que la concurrence, principalement allemande, ne lui laisse que quelques miettes. Les SUV plus récents ont semblé provoquer un revirement de situation, mais même dans ce segment, la concurrence est féroce et peut-être trop féroce pour Jaguar.

La question est de savoir si cela va changer à l'ère de l'électrique, où Tesla séduit déjà les clients à la recherche d'un "plus", et où (encore) les acteurs allemands ont récemment commencé à proposer une gamme splendide. Jaguar peut-il maintenant faire la différence et attirer suffisamment de clients potentiels de l'Audi E-Tron GT, de la Mercedes EQS ou de la Porsche Taycan pour qu'ils visitent son showroom, numérique ou autre ? La marque mise sur une propulsion 100% électrique à partir de 2025, mais elle est déjà à la traîne.

Une grande partie, sinon la totalité, dépendra de l'attrait de la gamme électrique finale. Jaguar devra faire preuve d'une grande originalité et d'une réelle distinction si elle veut conquérir suffisamment de clients pour les véhicules de prestige et à hautes performances. Mais sur un marché où l'offre de voitures électriques continuera à dépasser la demande pendant un certain temps encore, cela semble tout sauf facile. Avec le handicap supplémentaire que, à part la marque sœur Land Rover, le constructeur n'a pas de véritables partenaires avec qui partager les coûts de développement et autres. Ce sera certainement fascinant. Et qui sait, peut-être que Jaguar nous en mettra plein la vue avec le plus beau véhicule électrique jamais construit.

Bien sûr, Jaguar a une légitimité à devenir l’un des nouveaux acteurs forts de la voiture électrique, parce que le confort promis par ce type de motorisation conviendra très bien à une gamme de limousines anglaises de grand standing. Car demain, le chic d’une certaine catégorie de voitures électriques sera justement le silence absolu, cette faculté de déplacer des vaisseaux de 2 tonnes et plus avec la discrétion d’un félin en chasse et sans polluer.

Or Jaguar affronte aussi un problème de nostalgie, de fil conducteur, à l’instar de tous les cadors de la grande histoire de l’automobile : quand on a gagné Le Mans et tant d’autres courses (Le V12 7 litres de course de la Jaguar XJR-9 « Silk Cut », quelle magie !) et que, partant, on a vendu une part du rêve sous forme de V12 et V8 de route, comment entretenir ce rôle d’usine à bolides vainqueurs et sexy avec des rotors électriques que la première des start-ups asiatiques peut concurrencer, quasiment, du jour au lendemain ? En d’autres mots, une marque comme Jaguar pourrait souffrir d’un excès de respect de la part des passionnés, qui préfèreraient la laisser figée comme une icône divine dans leurs délicieux souvenirs de longs capots (fallait bien les caser quelque part, ces gloutons V12 et V8) de vieux cuirs bovins (et pas de ces étoffes véganes réalisées à base de filet de pêche recyclés) et de cadrans d’horlogers (une tablette tactile n’aura jamais rien de «classe»).

L’espoir, pour ces marques fortes, est selon moi, le design : faites nous rêver avec des lignes de grande classe, parce que si l’I-Pace est une bonne voiture électrique, je ne me retourne déjà plus sur elle depuis longtemps, alors qu’une «bête» XJ des années 80 capte toujours mon attention… et mon respect.     

On ne peut pas dire que Jaguar est arrivé trop tard ; avec l'I-Pace, les Britanniques ont été parmi les premiers constructeurs à avoir une alternative à Tesla dans le showroom. Un modèle avec une excellente tenue de route et des lignes audacieuses, mais le consommateur n'a pas mordu à l'hameçon. D'accord, le Jaguar I-Pace n'était pas parfait : le module multimédia n'était pas tout à fait à jour et les options de recharge n'étaient pas aussi étendues que la concurrence de Palo Alto. Pourtant, l'I-Pace mérite mieux.

C'est un vieux grief des Jaguar modernes : ne pas vendre des produits exceptionnels. Parce qu'ils ne peuvent tout simplement pas passer à travers l'armure allemande d'Audi, BMW et Mercedes, les marques qui sont toujours un peu plus intelligentes et un peu plus rapides. Et dans leur tentative de rattrapage, les Britanniques ont trop souvent buté sur des problèmes de qualité. Et cela nuit à l'image déjà mal en point, dans laquelle de nombreux consommateurs ne sont pas d'accord avec les routes trop chics, trop vieilles ou trop rouillées.

En ce sens, le choix de regarder plus haut, vers Bentley et ses consorts, semble une voie prometteuse. Mais il faudrait alors qu'ils soient capables d'élever sérieusement leur niveau de qualité et de fabriquer des produits à même de rivaliser avec ces marques de luxe. Je pense vraiment que ce sera une question d'image. Je m'inquiète moins de la transformation électrique, car tout le monde passe par là. Vous n'êtes pas obligé de marquer des points tout de suite, du moment que vous êtes à jour lorsque le marché commence vraiment à changer. C'est à ce moment-là que vous devez avoir votre technologie multimédia en ordre. Un accord de coopération avec un grand acteur chinois me semble donc opportun. De toute façon, ça ne va pas être facile...

J'ai toujours adoré les Jaguar d'antan, tantôt innovantes - la Type E - tantôt décalées comme les XJ de la fin des années 90 et début des années 2000 avec leur ligne semblant figée dans le temps. Mais si l'on se limite aux modèles plus récents, en dehors du duo coupé-roadster F-Type, aucune Jaguar ne me procure ce petit frisson qui me donnerait envie d'en acheter une. Style réussi mais lisse, détails de finition indignes du standing et des tarifs de la marque, fiabilité parfois médiocre... Il manque de la personnalité et de l'audace technique ou stylistique à ces voitures.

Du coup, l'avenir de Jaguar peut-il être florissant avec le passage à l'électrique et une montée en gamme ambitieuse ? Il n'y a que deux réponses possibles à cette question selon moi. Oui si effectivement le design fait preuve d'audace tant dehors que dedans et que le comportement dynamique reste aux standards de la marque, dynamique et confortable, tout en ramenant un peu de cette touche "so British" qu'elle a perdue avec sa précédente révolution stylistique. Non si elle se contente de poursuivre sur la veine du design actuel auquel plus grand monde ne veut ou ne peut s'identifier... Or, les dernières informations concernant le département du design avec le départ des pontes historiques laisse entrevoir une révolution... Reste à espérer qu'elle ira dans le bon sens.

En outre, si une "mécanique" électrique est plus simple en termes de composants, elle n'est pas forcément plus facile à fiabiliser et le développement des technologies électriques et autonomes coûte très cher. Trop pour un "petit" constructeur comme Jaguar ? Donc la marque britannique devra hausser très nettement le niveau sur ce point, au même titre que la qualité de construction qui manque de cachet et fait même honte à son blason dans certaines zones intérieures des modèles actuels. Et là, en voulant affronter Bentley, Aston Martin et consorts, ça ne passera pas aux yeux des clients ! Pour conclure, j'avoue sincèrement que je n'y crois plus trop.