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Mobilité / Interview : « Il faut éviter de vendre l'espace public »

Rédigé par David Leclercq le 28-12-2017

Poussée dans le dos par les constructeurs qui pensent que la technologie peut avoir une réponse à tout, la voiture autonome a aussi ses sceptiques. Ou plutôt ses réalistes. Comme Chris Tampère, Professeur et Docteur à la KU Leuven, qui a l’art de replacer les choses dans leur juste contexte.

Curriculum Vitae express : Chris Tampère :

Chris Tampère est Docteur et Professeur à la KUL Leuven où il enseigne la Logistique et le Trafic aux futurs ingénieurs. Il a travaillé précédemment dans la recherche, la modélisation et l’exploitation des données relatives au trafic routier. Il a obtenu en 2004 un doctorat à la TU Delft traitant de la modélisation de trafic automatisé. Son expertise concerne la dynamique des réseaux, du contrôle du trafic et de son coût ainsi que de la modélisation des comportements relatifs à la mobilité.

 

Vous étudiez le trafic et tout ce qui s’y rapporte depuis des années. Vous formez aussi les ingénieurs de demain en matière de mobilité. Que pensez-vous de la voiture autonome ? Est-ce une solution pour l’avenir ?

Je crois qu’il faut être d’abord conscient des choses qu’on nous présente. En effet, si on en croit les constructeurs et équipementiers automobiles, la voiture autonome serait déjà prête pour la route et le marché, ce qui signifie que non seulement la technologie est mature et fiable, mais que le marché est prêt à la recevoir, voire qu’il est demandeur. À côté de cela, on voudrait aussi nous faire croire que la voiture autonome pourra être déployée rapidement et à grande échelle et qu’elle constituera de ce fait une grande avancée en matière de sécurité routière. Et on nous promet enfin que l’avènement de la voiture autonome résoudra définitivement tous les problèmes de trafic que l’on connaît. Qu’elle sera capable de tout fluidifier. Bref, qu’elle constituera une avancée majeure dans l’histoire de la mobilité humaine.

Que pensez-vous personnellement de ces perspectives telles qu’elles sont présentées par les entreprises ?

Je pense que ces assertions sont fausses. Du moins en partie. Il ne faut pas céder à un surcroît d’enthousiasme. Car dans la perspective qui nous occupe, c’est à dire la réalité des choses, la voiture autonome n’est absolument pas envisagée par ses promoteurs comme une avancée pour le bien-être social ou sociétal. Elle repose en effet en premier lieu sur un intérêt commercial. Car il ne faut pas oublier que les hommes et les femmes sont de très bons conducteurs et que la technologie ne les remplacera pas si facilement.

Le débat qui devrait émerger se doit donc d’être plus profond ?

Absolument. Le fait est que les sociétés commerciales ne communiquent que sur les avantages de la voiture autonome et pas sur leurs limites qui, forcément, existent. Les constructeurs se trouvent dans une position de concurrence très forte autour de la course à la voiture autonome. Ils ont donc besoin de sortir des laboratoires et d’essayer leurs voitures dans des tests grandeur nature. De ce fait, ils usent de belles promesses pour avoir les autorisations nécessaires pour utiliser cet espace public. De mon point de vue, il est essentiel de ne pas vendre la société en tant que telle et les espaces publics à des sociétés commerciales. C’est malheureusement déjà un peu ce que nous faisons. Et il y a une raison à cela : les autorités ont tendance à être passives. Le risque est réel qu’elles ne prennent pas leurs responsabilités et les choses en main, préférant laisser la main au secteur privé. Mais peut-on vendre l’espace public au privé ? Il faut se rendre à l’évidence : le trafic dépend des autorités. Elles doivent conserver cette compétence. Car il est clair que la technologie, bien qu’elle puisse aider, ne pourra pas résoudre tous les problèmes de mobilité. C’est illusoire. Du moins pour le moment. J’appelle donc à ce que les autorités puissent créer un cadre légal pour qu’on puisse ensuite développer les choses. Vous avez, il ne faut pas négliger le caractère disruptif de la technologie autonome (c’est-à-dire qu’elle peut être source d’instabilité pour le trafic plus qu’un régulateur, nldr). Ne nous focalisons pas sur les mauvaises applications au mauvais moment et investissons plutôt dans les réalités qui nous accompagneront encore pendant des décennies (comme la conduite humaine, ndlr).

De ce que vous en dites, vous ne semblez pas trop croire à l’avenir de la voiture autonome. Est-ce pour vous une mode qui passera comme toutes les autres ?

Je ne pense pas non plus que ce soit une mode. Je ne jette pas le bébé avec l’eau du bain. J’appelle simplement à une certaine prudence, à une réflexion qui fait sens socialement. Car il est clair que les technologies vont continuer à s’améliorer. Ce « push » technologique est sain car il permettra d’arriver à de vraies solutions dans le futur. Encore une fois, créons un cadre légal qui appartient au public. Comme pour les navettes autonomes à Zaventem par exemple. C’est pour moi une bonne application. Utilisons en primeur ces technologies pour les transports publics. Pour moi, deux paramètres sont essentiels dans l’application et le développement de l’autonomie pour les transports : répondre à un besoin et avoir l’aval des autorités qui, rappelons-le, ouvrent de plus en plus les espaces urbains aux piétons. Donc, la vision d’une voiture autonome qui peut se faufiler en toute sécurité partout est assez antinomique.

Vous ne pensez pas que la voiture autonome peut résoudre les problèmes de sécurité routière que nous connaissons ?

C’est ce que les constructeurs mettent en avant : la sécurité et l’efficacité. Ces deux concepts sont d’ailleurs souvent ennemis. En revanche, l’humain est très doué lorsqu’il s’agit de combiner sécurité et efficacité. Mais qu’en est-il de la voiture autonome ? Comment créer la nécessaire communication entre voitures autonomes, le tout dans des environnements franchement complexes. Bref, il y a des raisons d’être sceptique car la voiture autonome n’a rien prouvé en matière de sécurité. Et les chiffres le démontrent: en Belgique, on recense 1 morts par 140 millions de kilomètres parcourus. Or toutes les voitures autonomes de Google ont parcouru ensemble 3,5 millions de kilomètres au total. Mais ça ne veut pas dire qu’elles ont roulé ou été confrontées à toutes les conditions. En Europe, les villes sont beaucoup plus compliquées qu’aux Etats-Unis où il y a beaucoup plus de place. Alors, imaginez-vous la chose dans le chaos des villes africaines ou asiatiques... Il faut aussi examiner les statistiques : en Belgique, 40% des accidents mortels se produisent avec des piétons, des cyclistes ou des motards et pas sur autoroute où l’on ne recense que 8% d’accidents mortels. Or, les voitures autonomes ne fonctionnent que sur autoroutes. C’est aussi un non-sens, même s’il faut effectivement commencer quelque part. Je reviens donc à ce que je disais : oui, il va falloir encore des batteries de tests, innombrables, mais on aurait tort de croire que l’intelligence artificielle va résoudre l’équation. Car elle a des difficultés à distinguer les choses. Au contraire de l’esprit humain qui peut anticiper même en décelant pendant une fraction de seconde un comportement qu’il juge comme suspect.

Ça signifie que la voiture autonome n’est pas au niveau ?

Ça signifie que la route vers la voiture autonome est encore longue et semée d’embûches. Je ne dis pas qu’on n’y arrivera pas. Mais il faut être réaliste : il faudra plus d’espace à la voiture autonome et il faudra qu’elle puisse évoluer dans des environnements simplifiés. Car comme je le disais, la voiture autonome ne parvient pas à distinguer beaucoup de choses. Carlos Ghosn reconnaissait lui-même que le plus grand souci pour le fonctionnement correct de la voiture autonome se posait avec les cyclistes. Pourquoi ? Car ils ne respectent pas les règles et se conduisent comme des piétons en étant beaucoup plus rapide. L’intelligence artificielle ne peut pas comprendre ou interpréter ça correctement. Dans les statistiques, seulement 74% des cyclistes sont reconnus par le dispositif et seulement 59% d’entre eux roulent dans la bonne direction. Il faudra donc des environnements simplifiés.

Y-a-t-il moyen de simplifier nos routes encore ?

La route est un environnement turbulent. Certains aménagements contribuent à fluidifier le trafic comme les ronds-points ou certaines intersections bien pensées. Mais il faut aussi être réaliste : il est très difficile de réduire encore les marges en continuant d’assurer le même niveau de sécurité. On nous dit qu’on pourra faire autre chose au volant des voitures autonomes. D’accord, mais alors où est l’intérêt de fluidifier le trafic puisqu’on pourra faire autre chose. On nous dit aussi qu’on aura plus de voitures partagées et donc moins de voitures sur la route. Mais là aussi, c’est paradoxal, car il y aura des voitures qui rouleront seules pour aller chercher leurs prochains passagers. Donc, on n’aura pas de baisse de trafic. C’est l’opposition que je vous expliquais tout à l’heure entre sécurité et efficacité. L’efficacité sera très relative. À la limite, ce qui est réaliste d’envisager, c’est une légère fluidification du trafic, mais il faudrait pour ça 50% de voitures autonomes. Bref, ce que je veux dire, c’est qu’on n’y est pas encore. On en est encore loin. On veut nous faire croire qu’on roulera tous en voiture autonome dans 10 ans. Et bien non. Car, cette technologie collaborative (entre voitures, ndlr) n’apparaîtra que plus tard. Les prévisions montrent qu’en 2030, on atteindra le niveau 3 de la voiture autonome (sur un total de 5, ndlr). Donc pour le niveau 5, soyez réaliste. Ne l’attendez pas avec 2050... 

Avec tout cela, quelles seraient vos recommandations autour de la voiture autonome ?

Je dirais qu’il ne faut pas s’emballer et aller trop vite. On aura prochainement des fonctionnalités limitées. Par exemple, une autonomie dans un parking qui constitue un environnement simplifié et facile à baliser. Ou des zones de livraisons en ville. La voiture autonome arrivera, mais pas dans les conditions qu’on veut nous faire croire. Les changements seront disruptifs (sous-entendus : soudains, morcelés et déstabilisants, ndlr) et ils se feront graduellement. Mais de grâce, prenons la société et les gens en considération. Ne laissons pas non plus de groupes sociaux sur le bord du chemin. Ne créons pas de clivages et impliquons les autorités pour créer un cadre global qui prendra en compte les besoins en espace, la sécurité et les nouveaux modèles de business qui peuvent en découler. Rappelez-vous que le télétravail existait avant les années 2000, mais que c’est seulement maintenant qu’il commence à se généraliser. On ne change donc pas une société en profondeur si facilement.

Sommaire :

- Comprendre les 5 niveaux de la voiture autonome

- Quelle éthique pour l'intelligence artificielle ?

- INTERVIEW – Chris TAMPERE « Eviter de vendre l'espace public »

- ESSAI – J'ai roulé avec l'AutoPilot 2.0 de la Tesla Model S

- Les oubliés de la voiture autonome

- Qui pour acheter la voiture autonome ?

- Enquête : le public est-il prêt pour la voiture autonome ?

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