Même si les ambitions purement électriques des uns et des autres sont régulièrement revues à la baisse, faute d’une demande qui peine à suivre, cette technologie reste fortement présente dans les stratégies à moyen terme. Pour Bentley, ce basculement se fera en 2027, dans la foulée d’un concept qui sera dévoilé l’année précédente.
Mais d’ici là, il reste un espace de liberté pour continuer à proposer, à une clientèle qui en est friande, des moteurs purement thermiques. Or, le Bentayga, lancé en 2015 (il fête donc ses 10 ans), s’est hissé en tête des ventes mondiales de Bentley, représentant jusqu’à 50% des quelque 10.600 unités écoulées l’an passé.
Un modèle stratégique, encore capable de faire rentrer des sous dans la caisse pour préparer l’avenir. Cet espace de liberté ne signifie toutefois pas qu’il n’y a pas de contraintes environnementales à respecter. En l’occurrence, ce sont elles qui ont finalement eu raison du célèbre W12, cette cathédrale mécanique devenue difficile à mettre en conformité. Il prend donc une retraite anticipée.
Moteur Bentley Bentayga Speed
Mais comment le remplacer dans la version Speed, qui représente bon an mal an environ 30% des ventes du modèle? En se tournant logiquement vers la banque d’organes du groupe Volkswagen. Pas pour y prendre un 1.5 eTSI, bien sûr, mais le gros V8 de 4 litres que l’on connaît chez Audi, Porsche et Lamborghini. Les motoristes de Bentley assurent y avoir mis leur patte, leur touche personnelle, pour accorder ce moteur au caractère attendu d’une Bentley. Taux de compression abaissé pour permettre à de plus gros turbos de souffler plus fort, courbe de couple retravaillée pour une réponse «effortless» à mi-régime, gestion électronique recalibrée...
Mais d’hybridation, même légère, aucune trace. Cette pompe à feu, c’est du 100% thermique! Et avec 650 ch et 850 Nm, elle surclasse l’ancien Speed W12 pour faire de cette nouvelle génération de Bentayga la plus puissante de l’histoire. On aurait pu s’attendre à ce qu’il adopte la technologie hybride rechargeable des dernières Continental et Flying Spur V8 Hybrid, mais non. Le SUV fait cavalier seul.
Au volant Bentley Bentayga Speed
Est-ce pour cela qu’il a été présenté dans le Montana, pays des cow-boys et décor de l’excellente série Netflix «Yellowstone»? Pas sûr. Quoique... En tout cas, ce V8, qui n’est pas de la même génération que celui de l’actuelle Bentayga V8 S, se montre plus léger que feu le W12 d’environ 80 kg. Un gain non négligeable pour alléger le train avant. Les responsables du projet se sont alors dit: «Pourquoi ne pas en faire aussi le Bentayga le plus agile de l’histoire?» Difficile tout de même quand on parle d’un SUV de… 2,4 tonnes!
Et pourtant… Cela peut aider, en outre, à faire passer la pilule de la disparition du W12. Ils ont donc soigné le châssis en l’équipant d’évolutions inédites sur le modèle: fonction Launch Control, quatre roues directrices, torque vectoring (répartition vectorielle de couple) agissant via un freinage ciblé de la roue arrière intérieure pour aider l’inscription en virage, mode Sport de l’ESC permettant un léger survirage de puissance à la réaccélération, ou encore un mode de conduite Sport désormais plus différencié des modes Confort et Bentley, restés inchangés. En Sport, les ressorts pneumatiques sont 15% plus raides qu’auparavant les barres antiroulis actives encore plus fermes, la gestion de la boîte plus agressive, tout comme la réponse à l’accélérateur.
Le Bentayga devient alors plus tendu sur ses appuis. Et si cela ne suffisait pas, il reste l’option des immenses freins en carbone-céramique ou de la ligne d’échappement Akrapovic, plus légère de 12,5 kg que l’origine, et qui permet à ce noble anglais d’éructer des borborygmes et des «bang-bang» au rétrogradage que ne renierait pas un Lamborghini Urus. Quand la haute noblesse de Sa Gracieuse Majesté s’encanaille comme un parrain napolitain...
Cela peut paraître «shocking», mais c’est en fait cohérent avec le typage sportif et agile voulu par Crewe pour ce qui apparaît sans doute comme un chant du cygne avant le grand basculement. Un cygne qui, en l’occurrence, donnerait donc de la voix. Cela dit, il faut reconnaître que cette volonté de sortir d’une élégance engoncée pour vivre plus librement a du bon. En effet, ce Bentayga Speed version 2025, s’il reste toujours aussi confortable au quotidien (et pour cause, rien n’a changé de ce côté), sait faire preuve d’une personnalité rebelle quand on lui en donne l’occasion.
Les nouveaux réglages des trains roulants, les évolutions apportées au châssis, la moindre inertie polaire sur le train avant ont contribué à le rendre plus «léger» sur la route, plus agile. Il devient un SUV de grand luxe... à conduire. Et ceux qui préfèrent se laisser conduire, comme les clients chinois, opteront pour la version EWB à empattement allongé, mais devront alors se passer de cette exécution Speed, indisponible sur la version longue.
Les ingénieurs assurent qu’il est apte à des sorties sur circuit. C’est possible, même si l’on se doute que ce n’est pas là son biotope préféré. En l’occurrence, sur nos routes d’essai rectilignes comme seuls les Américains savent les tracer, difficile de juger de sa facilité d’inscription en courbe, de son agilité globale et de sa capacité à sortir d’un virage en survirage de puissance – comme le permet théoriquement le nouveau mode Sport –, de ressentir l’effet du torque vectoring, etc. Sans doute conscients de cette incongruité, les organisateurs avaient tout de même prévu un tracé sur terre roulante, proche de ce que l’on retrouve sur certaines belles spéciales de rallye. Un Bentayga à l’assaut d’une spéciale?
Aussi improbable que de l’imaginer au freinage à la Source, à Spa. Et pourtant. Sur une surface à faible adhérence, on se prend à le balancer en douceur (en gardant à l’esprit que la masse amplifie vite les réactions), à utiliser son inertie pour le ralentir naturellement en dérive, en anticipant. Ensuite, un coup de volant bien dosé pour l’inscrire en entrée de virage (merci le torque vectoring) et, en sortie, l’arrière dérive bel et bien sous l’effet de l’accélérateur. Dans ces conditions atypiques, ce Bentayga Speed dévoile un caractère joueur insoupçonné. Mais pour arriver au même constat sur un asphalte sec, il faudra sans doute le talent de feu Ken Block. Dès lors, l’intérêt réel du système reste un mystère dont la pertinence reste à démontrer.
Conclusion Bentley Bentayga Speed
Le Bentayga Speed 2025 est, sans conteste, le plus performant et efficace de l’histoire du modèle. Comme si ses concepteurs avaient jeté toutes leurs forces dans la bataille, tout leur savoir-faire, sans regarder à la dépense... avant de tourner la page. Le problème, c’est que pour 95% des utilisateurs, ce potentiel restera largement sous-exploité, voire inaccessible au vu de leurs talents de pilotage. Mais pour eux, ce n’est généralement pas un souci: ils se contentent de (faire) savoir – et entendre – qu’ils ont le meilleur, le dernier, le plus rapide... Dès lors, s’il y a un marché, pourquoi Crewe s’en priverait-il?
Dans cet article : Bentley, Bentley Bentayga
